« Pour favoriser à la fois l'égalité et l'efficacité du vote dans notre système démocratique, il faut garantir le droit des citoyens et citoyennes de voter et de se présenter aux élections à la Chambre des communes. Mais il importe aussi de bien répartir les sièges de la Chambre entre les provinces et de bien délimiter les circonscriptions fédérales à l'intérieur des provinces. »
Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, 1991 : 127
Plusieurs principes sous-tendent notre système de représentation parlementaire. Le premier est celui de la représentation territoriale, en vertu duquel chaque citoyen est représenté à la Chambre des communes selon une division géographique appelée circonscription électorale ou comté. Dans l'ensemble du pays et dans chaque circonscription, l'objectif démocratique du système électoral repose sur un deuxième principe, celui de « un électeur, un vote », énoncé dans la Loi électorale du Canada. L'application de ce principe a été clarifiée en 1991 dans un jugement de la Cour suprême du Canada stipulant que le droit de vote tel qu'il est garanti par la Charte canadienne des droits et libertés n'établit pas l'égalité absolue du pouvoir électoral, mais le droit à une « représentation efficace ». Ce sont ces deux principes qui guident l'établissement des circonscriptions électorales.
La présente publication vise à expliquer deux aspects fondamentaux mais peu connus du système électoral fédéral, à savoir :
et, deuxièmement,
On ne trouvera pas ici une étude exhaustive de la question, mais plutôt un survol destiné à inciter le lecteur à approfondir ses connaissances sur le système électoral canadien.
L'un des grands défis des Pères de la Confédération en 1867 était d'assurer une représentation égale à la Chambre des communes du Canada, tout en garantissant que chaque région du pays aurait son mot à dire dans le fonctionnement quotidien de la nouvelle fédération. Ils ont ainsi adopté le principe de la « représentation selon la population », en vertu duquel chaque province obtiendrait un nombre de sièges correspondant directement à sa proportion de l'ensemble de la population du pays en regard de celle du Québec. Sur ce fondement s'est établie une méthode de calcul pour répartir les sièges de la Chambre des communes entre les provinces.
Toutefois, dès le début, les Pères de la Confédération ont reconnu la diversité géographique, culturelle, politique et démographique des provinces, de même que la taille de leur population ainsi que leurs caractéristiques rurales et urbaines. À mesure que de nouvelles provinces adhéraient à la Confédération, et que certaines régions se développaient plus rapidement que d'autres, cette diversité s'est accentuée. Il fallut alors en arriver à certains compromis dans la formule de représentation.
De nombreux observateurs ont affirmé que l'histoire du Canada était faite de compromis; la question de la représentation des provinces à la Chambre des communes en est un exemple concret. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer qu'aujourd'hui encore la représentation selon la population demeure le fondement de notre système électoral, comme c'est le cas dans de nombreux autres pays.
Dans les pages qui suivent, nous décrirons brièvement l'évolution de la formule de représentation, puis nous fournirons des explications sur la formule actuelle, sur la détermination du nombre de sièges à la Chambre des communes et sur la répartition de ces sièges entre les provinces et les territoires.
Année | Canada | Ont. | Qc | N‑É. | N.‑B. | Man. | C.‑B. | I.‑P.‑É. | Sask. | Alb. | T.N.‑O. | Yn T.N.‑O. NUN.* |
T.‑N.‑L. |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1867 | 181 | 82 | 65 | 19 | 15 | ||||||||
1871 | 185 | 82 | 65 | 19 | 15 | 4 | |||||||
1872 | 200 | 88 | 65 | 21 | 16 | 4 | 6 | ||||||
1873 | 206 | 88 | 65 | 21 | 16 | 4 | 6 | 6 | |||||
1882 | 211 | 92 | 65 | 21 | 16 | 5 | 6 | 6 | |||||
1887 | 215 | 92 | 65 | 21 | 16 | 5 | 6 | 6 | 4 | ||||
1892 | 213 | 92 | 65 | 20 | 14 | 7 | 6 | 5 | 4 | ||||
1903 | 214 | 86 | 65 | 18 | 13 | 10 | 7 | 4 | 10 | 1 | |||
1907 | 221 | 86 | 65 | 18 | 13 | 10 | 7 | 4 | 10 | 7 | 1 | ||
1914 | 234 | 82 | 65 | 16 | 11 | 15 | 13 | 3 | 16 | 12 | 1 | ||
1915 | 235 | 82 | 65 | 16 | 11 | 15 | 13 | 4 | 16 | 12 | 1 | ||
1924 | 245 | 82 | 65 | 14 | 11 | 17 | 14 | 4 | 21 | 16 | 1 | ||
1933 | 245 | 82 | 65 | 12 | 10 | 17 | 16 | 4 | 21 | 17 | 1 | ||
1947 | 255 | 83 | 73 | 13 | 10 | 16 | 18 | 4 | 20 | 17 | 1 | ||
1949 | 262 | 83 | 73 | 13 | 10 | 16 | 18 | 4 | 20 | 17 | 1 | 7 | |
1952 | 265 | 85 | 75 | 12 | 10 | 14 | 22 | 4 | 17 | 17 | 2 | 7 | |
1966 | 264 | 88 | 74 | 11 | 10 | 13 | 23 | 4 | 13 | 19 | 2 | 7 | |
1976 | 282 | 95 | 75 | 11 | 10 | 14 | 28 | 4 | 14 | 21 | 3 | 7 | |
1987 | 295 | 99 | 75 | 11 | 10 | 14 | 32 | 4 | 14 | 26 | 3 | 7 | |
1996 | 301 | 103 | 75 | 11 | 10 | 14 | 34 | 4 | 14 | 26 | 3 | 7 | |
2003 | 308 | 106 | 75 | 11 | 10 | 14 | 36 | 4 | 14 | 28 | 3 | 7 | |
2013** | 338 | 121 | 78 | 11 | 10 | 14 | 42 | 4 | 14 | 34 | 3 | 7 |
* Le Nunavut est devenu un territoire officiellement distinct des Territoires du Nord-Ouest le 1er avril 1999.
** Date prévue de la proclamation du décret de représentation.
Lors de la Confédération en 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 (rebaptisé en 1982 Loi constitutionnelle de 1867) a institué un Parlement composé de deux chambres. La chambre haute, ou Sénat, se composait de 72 membres non élus à raison de 24 pour chacune des trois régions de l'époque : le Québec, l'Ontario et les Maritimes. La chambre basse, ou Chambre des communes, élue par les électeurs admissibles, se composait de 181 députés répartis entre les quatre provinces fondatrices, soit 82 pour l'Ontario, 65 pour le Québec, 19 pour la Nouvelle-Écosse et 15 pour le Nouveau-Brunswick.
Afin que la représentation de chacune des provinces à la Chambre des communes continue de correspondre à sa population, l'article 51 de la Loi prévoyait qu'à compter du Recensement de 1871, le nombre de sièges attribués à chaque province serait calculé à nouveau après chaque recensement décennal (effectué chaque 10 ans). Le calcul devait se faire en divisant le chiffre de population d'une province par un nombre fixe appelé « quotient électoral », obtenu en divisant le chiffre de population du Québec par 65, c'est-à-dire le nombre de sièges garantis constitutionnellement au Québec à la Chambre des communes.
Il n'y avait qu'une exception à cette formule simple, la « règle du vingtième », en vertu de laquelle aucune province ne pouvait perdre de sièges à l'occasion d'un redécoupage électoral à moins que le pourcentage de sa population par rapport à la population totale du pays ait diminué d'au moins 5 % (un vingtième) entre les deux derniers recensements.
La première modification à la formule initiale de représentation est intervenue en 1915, avec l'adoption de la « clause sénatoriale ». Celle-ci, toujours en vigueur, prévoit qu'une province ne peut pas avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu'au Sénat. En 1915, cette disposition a eu pour effet immédiat de garantir un quatrième siège à l'Île-du-Prince-Édouard, qui en détient encore quatre aujourd'hui.
Cependant, le contexte politique ayant changé, le Parlement a modifié l'Acte de l'Amérique du Nord britannique en 1946, en y inscrivant une nouvelle formule de répartition des sièges à la Chambre des communes. Cette formule répartissait les 255 sièges d'alors entre les provinces et territoires selon leur part de la population totale du Canada et non plus en fonction du nombre moyen de personnes par circonscription au Québec.
Comme la population n'avait pas augmenté au même rythme dans toutes les provinces, il en est résulté une perte de sièges pour certaines d'entre elles. Ainsi, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et la Saskatchewan ont perdu des sièges après le Recensement de 1951. Afin d'éviter des pertes trop rapides, le Parlement a alors adopté la « règle des 15 % », selon laquelle aucune province ne pouvait perdre plus de 15 % du nombre de sièges auquel elle avait eu droit au redécoupage précédent. Les trois mêmes provinces ainsi que le Québec ont également perdu des sièges après le Recensement de 1961. Comme ces quatre provinces et Terre-Neuve allaient de nouveau perdre des sièges après le Recensement de 1971, le Parlement a légiféré en 1974 pour remédier à la situation.
En 1974, l'inquiétude suscitée par la perte constante de sièges dans certaines provinces a incité le Parlement à adopter la Loi sur la représentation (1974). Celle-ci garantissait entre autres qu'aucune province ne pouvait perdre de sièges.
En février 1974, le Comité permanent des privilèges et élections a établi ce qui suit :
Il s'agissait donc d'un « compromis » pour régler la question de la représentation à la Chambre des communes. La nouvelle formule, la troisième dans l'histoire du pays, était plus complexe que les précédentes. Comme c'était le cas avant 1946, le Québec y servait de base de calcul, mais à trois différences près. Premièrement, le Québec aurait dorénavant droit à 75 sièges plutôt qu'à 65. Deuxièmement, le nombre de sièges attribués au Québec augmenterait de quatre à chaque rajustement de la représentation, de manière à freiner l'augmentation de la population moyenne des circonscriptions. Troisièmement, les provinces se répartiraient en trois catégories : les provinces très peuplées, soit celles ayant une population de plus de 2,5 millions d'habitants; les provinces moyennement peuplées, soit celles comptant entre 1,5 et 2,5 millions d'habitants; et les provinces peu peuplées, soit celles avec moins de 1,5 million d'habitants. Seules les provinces les plus peuplées obtiendraient des sièges en proportion directe de la population du Québec; des règles distinctes et plus favorables s'appliqueraient aux provinces peu ou moyennement peuplées.
La formule de l'amalgame n'a été appliquée qu'une fois; en 1976, elle a porté à 282 le nombre de sièges à la Chambre des communes.
À la suite du Recensement de 1981, on s'est rendu compte que la formule de l'amalgame entraînerait une augmentation marquée du nombre de sièges à la Chambre des communes dans l'immédiat ainsi qu'à la suite des recensements ultérieurs (369 sièges après 2001). En adoptant la Loi de 1985 sur la représentation électorale, le Parlement a modifié la formule et a introduit une nouvelle « clause des droits acquis », laquelle garantissait qu'aucune province ne pouvait avoir moins de sièges qu'elle en avait obtenus en 1976 ou pendant la 33e législature (soit en 1985).
La formule révisée pour calculer le nombre de sièges comprenait plusieurs étapes. Des 282 sièges que la Chambre des communes comptait en 1985, un était attribué aux Territoires du Nord-Ouest, un au Yukon et un au Nunavut, ce qui laissait 279 sièges. On divisait ensuite par 279 le chiffre total de la population des 10 provinces pour obtenir le quotient électoral. Le nombre initial de sièges pour chaque province se calculait en divisant le chiffre de sa population totale par le quotient électoral; si le résultat comportait une fraction supérieure à 0,50, le nombre de sièges était arrondi au nombre entier suivant. La « clause sénatoriale » et la « clause des droits acquis » étaient ensuite appliquées pour obtenir le nombre définitif de sièges.
En 2011, le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi pour remédier à l'importante sous-représentation des provinces à forte croissance – l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta –, un problème que la formule de 1985 ne pouvait pas résoudre. Ce projet de loi visait également à éviter que les provinces surreprésentées deviennent sous-représentées après l'application de la nouvelle formule. La Loi sur la représentation équitable, adoptée en décembre 2011, a entraîné l'attribution de nouveaux sièges aux trois provinces ayant la plus forte croissance démographique, ainsi qu'au Québec qui, autrement, serait devenu sous-représenté. Les provinces à moins forte croissance ont conservé le même nombre de sièges. Ainsi, l'Ontario a acquis 15 nouveaux sièges, la Colombie-Britannique et l'Alberta 6 chacun, et le Québec s'est vu attribuer 3 nouveaux sièges.
La formule de représentation actuelle comprend les étapes suivantes :
On divise la population d'une province par le « quotient électoral » pour obtenir le nombre initial de sièges attribués à cette province. Pour le redécoupage de 2012, le quotient électoral a été fixé par la loi à 111 166, chiffre qui représente la population moyenne estimée des circonscriptions fédérales au 1er juillet 2011.
Pour les prochains redécoupages, le quotient électoral sera révisé selon la moyenne des taux de croissance des populations provinciales depuis le redécoupage précédent.
Une fois établi le nombre initial de sièges attribués à chaque province, des rajustements sont effectués selon la « clause sénatoriale » et la « clause des droits acquis ».
La « règle de représentation » s'applique à une province dont la population était surreprésentée à la Chambre des communes au terme du dernier redécoupage. Si une telle province devient sous-représentée à la suite des calculs ci-dessus, d'autres sièges lui sont attribués de façon à ce que sa part de sièges à la Chambre des communes soit proportionnelle à sa part de population.
Quand les clauses spéciales et la règle de représentation ont été appliquées, le nombre de sièges pour chaque province se trouve être établi. Trois sièges sont alors attribués aux territoires – un au Yukon, un aux Territoires du Nord-Ouest et un au Nunavut – et l'on obtient alors le nombre total de sièges à la Chambre des communes.
Population de la province ÷ Quotient électoral (111 166) = Nombre initial de sièges de la province
Application de la « clause sénatoriale » et de la « clause des droits acquis »
Application de la « règle de représentation »
Nombre total de sièges des provinces + Un siège par territoire = Nombre total de sièges
Formule actuelle pour déterminer la représentation à la Chambre des communes.