La représentation à la Chambre des communes du Canada

Le redécoupage des circonscriptions

Nous avons vu comment est déterminé le nombre de sièges à la Chambre des communes et comment ces sièges sont répartis entre les dix provinces et les trois territoires. Il reste ensuite à découper le pays en circonscriptions électorales, c'est-à-dire en zones territoriales représentées chacune par un député élu à la Chambre des communes.

Cet exercice s'appelle, de son nom complet, la « révision des limites des circonscriptions électorales », mais il est communément désigné sous le nom de « redécoupage électoral » ou « redécoupage » tout court. La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit qu'une révision doit s'effectuer après chaque recensement décennal, mais c'est la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales qui indique les règles à suivre pour mener à bien cette tâche énorme, qui sera décrite après le bref historique qui suit.

Contexte historique

Jusqu'à la révision consécutive au Recensement de 1951, la Chambre des communes a assumé la responsabilité d'établir les limites des circonscriptions électorales, par l'entremise d'un comité nommé à cette fin.

Plusieurs experts se sont penchés sur l'évolution du processus jusqu'aux années 1960 et en ont conclu qu'il n'était régi par aucune règle. Comme l'a écrit le professeur Norman Ward (1967, p. 107) : « On procédait à l'aveuglette et c'était pure coïncidence si le résultat avait du sens. » Pour sa part, le professeur Terence Qualter (1970, p. 99‑100) croit avoir discerné quatre « règles » officieuses que les parlementaires semblent avoir suivies à l'époque. S'il fallait réduire le nombre de sièges dans une région en particulier, ils veillaient à 1) maintenir les circonscriptions des députés en place; 2) éliminer plutôt les circonscriptions des députés qui n'avaient pas l'intention de se présenter au prochain scrutin; 3) réduire le nombre de sièges des partis minoritaires; et, s'il y avait de fortes pressions pour accroître la représentation des régions densément peuplées, ils veillaient à 4) ajouter des sièges à la Chambre plutôt que de diminuer la représentation des régions rurales.

Les recherches sur cette période indiquent qu'avant les années 1960, la révision des limites des circonscriptions faisait l'objet d'une ingérence politique considérable. Les limites étaient souvent manipulées en vue d'assurer la réélection des députés du parti au pouvoir, une pratique connue sous le nom de charcutage électoral (surtout en Europe) ou, en anglais, gerrymandering.

La création de commissions indépendantes

Au début des années 1960, il a été décidé de confier à des commissions indépendantes, une pour chaque province, la tâche de réviser les limites des circonscriptions électorales. En novembre 1964, le Parlement adoptait des mesures législatives en ce sens. Un juge, désigné par le juge en chef de la province, présiderait chaque commission, qui se composerait de trois autres membres, y compris un commissaire à la représentation, fonctionnaire qui devait faire partie de chaque commission. À l'origine, les deux autres membres devaient être nommés, l'un par le parti au pouvoir à la Chambre des communes et l'autre par le parti formant l'Opposition officielle. Les autres partis d'opposition ont toutefois protesté, si bien que la Loi a été modifiée de façon à confier au président de la Chambre des communes la responsabilité de nommer les deux membres en question.

Le poste de commissaire à la représentation a été aboli en 1979 et la plupart des fonctions qui y étaient rattachées ont été confiées au directeur général des élections du Canada. Aujourd'hui, la législation prévoit pour chaque province une commission de délimitation des circonscriptions électorales composée de trois membres : un juge-président et deux autres membres nommés par le président de la Chambre des communes. Comme les trois territoires nordiques comprennent chacun une seule circonscription, ils n'ont pas besoin d'une telle commission.

Afin de soustraire le processus de redécoupage à toute ingérence politique, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales précise qu'aucun sénateur, ni aucun député fédéral, provincial ou territorial ne peut faire partie d'une commission. En pratique, outre les présidents, plusieurs des commissaires sont des professeurs d'université ou des membres du personnel (non élu) des assemblées législatives.

La participation du public

En 1964, les députés de la Chambre des communes ont établi les règles régissant la délimitation des circonscriptions fédérales. Ils se sont alors rendu compte que pour rendre le processus aussi équitable que possible, il fallait non seulement empêcher toute ingérence politique mais aussi permettre à tous les citoyens d'exprimer leur point de vue. Chaque commission publie donc son projet de carte électorale dans les journaux et invite la population à des audiences publiques tenues en divers endroits choisis pour faciliter la participation du plus grand nombre possible de citoyens.

Les députés ne sont nullement exclus de ces audiences. Il est reconnu qu'ils tiendront inévitablement à se prononcer sur le nom et les limites des circonscriptions proposées. La Loi les autorise donc non seulement à se faire entendre aux audiences publiques, mais aussi à exprimer leur opposition à toute proposition émise par les commissions. Ce processus est administré par un comité de la Chambre des communes chargé des questions électorales. Les commissions doivent examiner les objections soulevées mais ne sont nullement tenues de modifier leurs propositions.

Dans tous les cas, ce sont les commissions qui décident en dernier ressort du tracé des circonscriptions.

Les critères : où tirer la ligne?

Une fois que le directeur général des élections leur a remis les cartes et les données pertinentes du recensement, les commissions ont 10 mois pour formuler leurs propositions, tenir des audiences et présenter leur rapport final, une tâche immense. Il ressort des lignes directrices inscrites dans la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales que le redécoupage ne se réduit pas à un calcul automatique, mais qu'il s'agit plutôt d'un équilibrage délicat entre les communautés d'intérêts, l'identité des communautés et les caractéristiques géographiques des circonscriptions. Au cours de leurs travaux, les commissions reçoivent l'aide professionnelle, technique et administrative du directeur général des élections et du personnel d'Élections Canada.

La tâche des commissions consiste à partager le territoire qui leur est assigné en un certain nombre de circonscriptions, de telle sorte que la population comprise dans chaque circonscription corresponde « dans la mesure du possible » à la moyenne (ou le « quotient ») déterminée. En fixant les limites des circonscriptions, elles doivent tenir compte de « la communauté d'intérêts ou la spécificité d'une circonscription électorale d'une province ou son évolution historique, [et de] la superficie des circonscriptions dans les régions peu peuplées, rurales ou septentrionales [...] ». L'article 15 de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales énonce les critères devant être appliqués par les commissions.

Afin de tenir compte de ces facteurs humains et géographiques, les commissions sont autorisées à s'éloigner du chiffre moyen de la population en fixant les frontières des circonscriptions. Toutefois, elles ne peuvent pas s'éloigner de plus de 25 % du quotient électoral fixé pour la province, sauf dans des circonstances qu'elles considèrent comme exceptionnelles. De telles circonstances sont plus courantes dans les circonscriptions nordiques et peu peuplées.

Les étapes du redécoupage

Les travaux des commissions sont essentiels au processus de redécoupage mais n'en constituent en fait qu'une étape. L'ensemble du processus peut s'étendre sur deux ans ou davantage, à partir du moment où le directeur général des élections reçoit du statisticien en chef du Canada les résultats du dernier recensement jusqu'au moment où les nouvelles limites des circonscriptions sont en vigueur en vue d'une élection générale. Les autres tâches comprennent la préparation par le directeur général des élections du projet de décret de représentation électorale (qui décrit les circonscriptions), la publication des cartes électorales, l'embauche des directeurs du scrutin, la redéfinition des sections de vote et la révision du Registre national des électeurs.

Les principales étapes du redécoupage des circonscriptions fédérales sont expliquées ci-dessous.

Étapes préliminaires

1. La répartition des sièges

Le directeur général des élections reçoit du statisticien en chef du Canada les estimations de la population du pays et de chaque province. Ces estimations sont établies au 1er juillet de l'année du plus récent recensement ainsi que du recensement décennal précédent.

Le directeur général des élections calcule le nombre de sièges devant être attribués à chaque province à l'aide des estimations de la population et d'une formule prévue dans la Constitution. Les résultats sont publiés dans la Gazette du Canada.

2. La publication des données du recensement

Le statisticien en chef publie les chiffres de la population du nouveau recensement décennal (à distinguer des estimations de la population) pour le pays, les provinces et les circonscriptions fédérales existantes. Ces données sont communiquées au directeur général des élections et au ministre chargé de l'application de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales.

3. L'établissement des commissions

Le gouverneur en conseil constitue pour chaque province une commission de délimitation formée de trois membres. Un avis en ce sens est publié dans la Gazette du Canada. Le président de chaque commission est nommé par le juge en chef de la province, et les deux autres commissaires sont nommés par le président de la Chambre des communes. Le directeur général des élections communique à chaque commission les chiffres de la population issus du recensement pour la province.

Préparation des rapports

4. La publication des propositions des commissions

Chaque commission prépare une proposition, avec des cartes, afin de diviser la province en circonscriptions. Cette proposition est publiée dans la Gazette du Canada et dans au moins un journal à grand tirage, accompagnée d'un avis fixant les dates et les lieux des audiences publiques.

5. Les audiences publiques

Chaque commission tient au moins une audience publique, au moins 30 jours après la publication de sa proposition. Les personnes désirant présenter des observations à une audience publique, y compris les députés fédéraux, doivent en informer la commission par écrit dans les 23 jours suivant la publication de la proposition.

6. La remise des rapports

Chaque commission termine son rapport sur les nouvelles circonscriptions dans les 10 mois suivant la réception des données du recensement, à moins que le directeur général des élections n'ait accordé une prorogation (d'au plus deux mois). Le directeur général des élections remet le rapport au président de la Chambre des communes, où il est déposé en vue d'être étudié par le comité de la Chambre chargé de ces questions. Si le Parlement ne siège pas à ce moment, le président publie le rapport dans la Gazette du Canada et envoie un exemplaire de celui-ci, par la poste, à chaque député de la province concernée.

Étude des rapports par la Chambre des communes

7. La participation des députés

Les députés peuvent présenter par écrit au comité désigné leurs objections, appelées « oppositions », concernant un rapport. Celles-ci doivent être signées par au moins 10 députés et présentées dans les 30 jours suivant le renvoi du rapport au comité ou sa publication dans la Gazette du Canada. Le comité étudie les oppositions dans les 30 jours suivant l'expiration du délai pour présenter des oppositions, à moins que la Chambre des communes n'accorde une prorogation. Le rapport est ensuite renvoyé à la commission par l'entremise du directeur général des élections, avec le texte des oppositions et l'extrait des procès-verbaux du comité.

Établissement définitif des limites

8. L'examen des oppositions par les commissions

Chaque commission détermine s'il y a lieu de modifier les limites ou le nom des circonscriptions avant que son rapport définitif ne soit soumis par le directeur général des élections au président de la Chambre des communes. Cette étape a lieu dans un délai de 30 jours suivant la réception des oppositions.

9. Le décret de représentation électorale

Le directeur général des élections prépare le projet de « décret de représentation électorale », qui décrit les circonscriptions établies par les commissions, et le fait parvenir au ministre chargé d'appliquer la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales.

Le nouveau décret de représentation est proclamé par le gouverneur en conseil et publié dans la Gazette du Canada.

Préparation électorale

10. L'entrée en vigueur des limites

Les nouvelles limites n'entrent en vigueur qu'à la première élection générale déclenchée au moins sept mois après la proclamation du décret de représentation. Ce délai permet à Élections Canada, aux partis politiques, aux candidats et aux députés de se préparer en vue de la prochaine élection générale (embauche des directeurs du scrutin, mise à jour du Registre national des électeurs, réorganisation des associations de circonscription, etc.).

Conclusion

Depuis la Confédération, la formule de calcul de la représentation à la Chambre des communes et la méthode de révision des limites des circonscriptions ont évolué.

Les plus grandes réformes se sont sans doute produites dans les récentes décennies. Depuis les années 1940, la formule de représentation a connu quatre transformations fondamentales et le processus de redécoupage a subi une modification majeure. Ces changements ont chaque fois retardé les révisions qui ont suivi les recensements de 1941, 1961, 1971 et 1981. Après le Recensement de 1991, des retards ont été causés par les discussions constitutionnelles qui ont abouti aux accords du Lac Meech et de Charlottetown, et par la révision de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales dans son ensemble.

Le Canada est un pays relativement jeune comparativement à d'autres démocraties, et son système électoral continuera nécessairement d'évoluer. Il sera intéressant d'observer, dans les années à venir, la manière dont il relèvera le défi que lui poseront la croissance et la mobilité de sa population.

Lectures complémentaires

Canada. Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. 1991. Pour une démocratie électorale renouvelée : Rapport final, vol. 1, Ottawa, Commission royale.

Commissariat aux langues officielles. 2006. Établir les limites : l'incidence du redécoupage électoral sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire, Ottawa, Commissariat aux langues officielles.

Courtney, John C. 2008. « From Gerrymanders to Independence: District Boundary Readjustments in Canada », dans Bernard Grofman et Lisa Handley (dir.), Redistricting in Comparative Perspective, Oxford, Oxford University Press.

—. 2001. Commissioned Ridings: Designing Canada's Electoral Districts, Montréal et Kingston, McGill-Queen's University Press.

Élections Canada. 2002. « Le redécoupage des circonscriptions électorales fédérales : Communauté d'intérêts et limites électorales », numéro spécial, Perspectives électorales, vol. 4, no 2.

Johnson, David. 1994. « Canadian Electoral Boundaries and the Courts: Practices, Principles and Problems », Revue de droit de McGill, vol. 39, p. 224‑248.

Kerr, Don, et Hugh Mellon. 2010. « Demographic Change and Representation by Population in the Canadian House of Commons », Canadian Studies in Population, vol. 37, nos 1‑2, p. 53-75.

Pal, Michael, et Sujit Choudhry. 2007. « Is Every Ballot Equal? Visible-Minority Vote Dilution in Canada », IRPP Choix, vol. 13, no 1.

Poffenroth, Kim. 2005. « Raîche v. Canada: A New Direction in Drawing Electoral Boundaries? », Commonwealth Law Bulletin, vol. 31, no 2, p. 53‑60.

Qualter, Terence H. 1967. « Representation by Population: A Comparative Study », Revue canadienne d'économique et de science politique, vol. 33, p. 246‑268.

Sancton, Andrew. 2010. « The Principle of Representation by Population in Canadian Federal Politics », Mowat Paper, Toronto, Mowat Centre for Policy Innovation.

Schouls, Tim. 1996. « Aboriginal Peoples and Electoral Reform in Canada: Differentiated Representation Versus Voter Equality », Revue canadienne de science politique, vol. 29, no 4, p. 729‑749.

Ward, Norman. 1967. « A Century of Constituencies », Canadian Public Administration, vol. 10, no 1, p. 105‑221. Réimprimé dans Frederick Vaughan, Patrick Kyba et O.P. Divedi (dir.), Contemporary Issues in Canadian Politics, Scarborough (ON), Prentice Hall Canada, 1970, p. 166‑176.